
Le voyage continue, à terre…
Pascal et Anapa vont rester quelques semaines à Jacaré pour finir les petites réparations. En effet, la traversée de l’Atlantique a laissé quelques stigmates sur le bateau. Rien de grave, mais il serait imprudent de continuer la route sans remédier à ces quelques dégradations. Pascal prévoit de remonter la côte brésilienne qui n’offre pas beaucoup de ports ni d’abris jusqu’en Guyane. De plus, il ne compte pas s’arrêter en Guyane. Il reste 1500 milles nautiques à courir avant de toucher terre de façon confortable.
J’ai adoré la vie à bord. La transatlantique avec ses jours de soleil, d’étoiles, de vagues. Ses grains sévères et ses moments de pétole. Tous ces jours loin de tout mais proche de l’essentiel avec un seul élément important, Anapa qui a été notre maison, notre bateau, notre havre de paix et notre vaisseau, capricieux fétu de paille au milieu des éléments.
J’ai découvert un voyage inconnu pour moi. Un voyage au milieu de ce grand océan qui semble être sans fin. Un voyage infini, durant lequel on a la sensation d’être TOUT, puisqu’on est seul. Mais un voyage où l’on a aussi la sensation de n’être RIEN. Cette immensité aquatique nous montre à quel point notre petite personne a peu d’importance. Si nous disparaissions là, maintenant, au milieu de ce nulle part, la Terre-Mer serait la même.
Un autre voyage qui m’était inconnu. C’ est le voyage intérieur qui commence lors du premier quart de nuit. Seul, dans le cockpit, sous le ciel noir en toile de fond. Seul sous les innombrables étoiles inconnues. Seul, sur toute cette eau si vivante, si habitée d’une vie inconnue, qu’il est impossible de ne pas se retourner sur soi-même, de réévaluer l’importance ou l’inutilité de toute chose.
L’arrivée à Marina Jacaré nous a permis de retrouver une vie sociale agréable et confortable. La transition avec la vie de terrien se fait doucement dans cet endroit paisible.
Après quelques jours passés là, nous avons décidé de laisser Anapa et Pascal continuer le voyage sans nous. Nous allons visiter la partie du Brésil qu’est le Nordeste.
Le départ est difficile. Le huis clos du bateau, au milieu de l’océan a créé des liens invisibles mais intenses. Nous quittons Anapa et son capitaine avec beaucoup de regret mais aussi avec l’envie de découvrir, un peu le Brésil.
Pour ce faire, nous louons une voiture pour nous rendre, en une semaine jusqu’à Salvador de Bahia. Nicolas, notre hôte de la Marina nous oriente vers des lieux loin des chemins touristiques et que nous avons hâte de découvrir.
Notre première escale sera Recife, une grande ville à 130km au sud de Jacaré. Nous avions fait une escapade à Olinda, avec Pascal dans un hôtel familial et accueillant, si bien que nous décidons d’y retourner.
Récife, une grande ville, avec ses monastères, ses églises de style baroque flamboyant nous laisse un peu un goût amer. Nous sommes dimanche et tous les monuments historiques sont fermés.
Un peu dépités, nous rentrons à Olinda. En arrivant aux abords du quartier où nous logeons, nous entendons une musique endiablée et en approchant de l’hôtel, la rue est envahie de monde. Impossible de continuer notre chemin.
Les dimanches qui précèdent le carnaval, les habitants défilent dans les rues en prévision de la grande fête à venir. Une répétition générale en quelque sorte. Mais plusieurs dimanches de suite. Il faut être très sûr que tout sera parfait. Le carnaval brésilien est là, devant nos yeux émerveillés.
Ici, pas de sambodrome. Pas de gradins pour voir le spectacle. Pas de costumes extraordinaires et flamboyants. Le spectacle, c’est nous. Emportés par une foule déchaînée et bariolée nous sommes pris dans la frénésie de la fête populaire et authentique. Une fête destinée aux autochtones et non à des touristes voyeurs. Des personnages géants et sont portés sur les épaules et dansent au rythme de la musique. On peut reconnaitre dans les visages caricaturaux de certains d’entre eux des commerçants de la ville. Les porteurs sont cachés sous de longues jupes qui vont jusqu’au sol, si bien qu’ils sont invisibles. Nous n’osons pas nous inclure dans la fête mais les carnavaliers nous aspirent, nous emmènent avec eux dans une danse folle au rythme des tambours. Des jeunes filles armées de petits parapluies multicolores ouvrent le cortège.
Quand nous arrivons à nous extraire de ce défilé festif, nous décidons de manger dans un petit bar au bord de la rue. Les gens qui sont installés en terrasse sont tellement heureux de voir que nous participons à la fête qu’ils se lèvent pour nous laisser leur place. D’autres nous appellent pour nous inviter à entrer chez eux pour nous reposer en attendant la fin de la parade.
La journée à Recife était un peu décevante mais cette soirée inattendue, l’accueil des habitants d’Olinda et ce bonheur spontané et partagé avec les carnavaliers de cette belle ville a provoqué en moi une émotion intense.
Quand on va à l’autre bout du monde en avion, il suffit de quelques heures pour se trouver totalement dépaysés et immergé dans une culture inconnue. Nous avons passé deux semaines en pleine mer, éloignés de tout, avant d’amarrer le bateau à Marina Jacaré, un endroit isolé, protégé de la folie urbaine. Après l’isolement de la traversée à la voile qui est une aventure extraordinaire d’isolation et de voyage lent, la découverte de ce pays lointain, où la vie est si différente de la notre me fait l’effet d’un choc esthétique et émotionnel auquel je ne m’attendais pas.
Beaucoup de villes et de brésiliens seront sur notre route jusqu’à Salvador de Bahia, mais je pense que rien ne provoquera une telle émotion que celle que j’ai ressentie, immergée dans cette foule joyeuse à Olinda.
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