Anapa, un voilier nommé désir – épisode 15

29 janvier

Ce matin, nous quittons Recife pour une destination hors des circuits touristiques. Avant de quitter Jacaré Nicolas, notre hôte nous a conseillé de nous arrêter à Mangue Seco. Nous y serons ce soir. 

Quitter Recife en voiture relève de la gageure. Près de quatre millions d’habitants se déplacent dans des rues chaotiques avec un respect très approximatif des règles de circulation. La périphérie de la ville est dotée de larges avenues, mais là aussi les voitures attelées de chevaux surgissent quand on s’y attend le moins. 
Comme nous avons pu le voir depuis quelques jours, il y a, partout dans les rues, des habitants qui balayent le trottoir et la rue devant chez eux. Mais personne ne ramasse ces tas d’ordures poussés toujours plus loin, si bien que tous ces immondices finissent bloqués contre un grillage ou pire dans le fleuve ou un canal. 
C’est le cas de celui que nous suivons. L’eau est invisible car couverte de déchets, flottant au fil du courant. On imagine facilement l’état de l’eau qui coule sous ces déchets. Ces canaux sont reliés au Rio Tigipiò qui forme un delta, subissant l’influence des marées. C’est ainsi que ces décharges publiques se déversent dans l’océan à chaque marnage. 

Avant que nous puissions quitter la ville, la mer s’est retirée laissant les canaux vides de leurs eaux. La réalité dépasse ce que nous avions imaginé. Les canaux sont remplis d’une vase pestilentielle. D’énormes buses y déversent ce que l’on peut imaginer être les égouts de la ville. Des hommes, enfoncés jusqu’aux genoux dans la vase, armés d’une pelle vident ces énormes tuyaux vers le milieu du canal, dans le but, certainement d’évacuer toutes ces boues vers l’ océan. Ils travaillent dans des conditions inimaginables d’insalubrité. 

Les routes à grande circulation qui permettent de quitter la ville sont construites au milieu des mangroves et sont grillagées. La végétation est très vivace et monte à l’assaut des clôtures. Sans ces barrières, les palétuviers auraient tôt fait de tout envahir et d’empêcher toute circulation. 

Peu à peu la circulation s’éclaircit, la route devient plus étroite et nous sortons de la ville. Les paysages sont magnifiques. L’eau est partout dans ce pays parcouru par de nombreux fleuves qui se jettent en deltas dans l’océan. La végétation aquatique est omniprésente et recouvre les mares et les bras des fleuves de camaïeux de verts infinis. Au milieu de ces plantes flottantes, des fleurs multicolores surgissent. Les nymphéas n’ont qu’à bien se tenir. 

Les vallons se succèdent avec des forêts de palmiers à perte de vue. Le soleil se faufile entre ces troncs élancés faisant naître des jets de lumières comme les Glorieuses que l’on voit dans les cieux nuageux. Quand les cocotiers disparaissent, c’est pour faire place à des collines d’un vert puissant couvertes de troupeaux de zébus d’un blanc immaculé qui font ressembler les coteaux à des champs de fleurs. 

Le paysage devient plus aride. La végétation tropicale fait place à des dunes de sable. Certaines sont si blanches qu’on les croirait couvertes de neige. D’autres sont couvertes d’un sable doré qui renvoie les rayons du soleil. 

La circulation automobile se fait de plus en plus fluide au profit des charrettes attelées et de cavaliers qui montent à cru. Le paysage de sable blanc est parsemé de végétation toujours verdoyante mais rase. Le ciel confronté au sol blanc est d’un bleu si profond qu’il en devient irréel. 

En fin de matinée nous arrivons à Pontal Mangue Seco, un endroit hors du temps, hors du monde. L’immense fleuve d’un côté, de petites maisons multicolores de l’autre. Les habitants se reposent devant leur porte. Nicolas nous avait prévenu de l’isolement du lieu mais nous avons vraiment la sensation qu’avant nous, aucun touriste n’est jamais venu ici. 

Nous arrivons dans l’auberge de Lulu qui nous accueille comme si nous étions ses invités. Elle interpelle un homme qui dort au bord de l’eau près de sa pirogue dans l’ombre d’un cocotier. Il nous embarque aussitôt vers une presqu’île entre le fleuve et l’océan. 
En longeant la mangrove, de nombreux oiseaux blancs s’envolent devant nous. Il y en a tant, et de toutes les tailles que l’on pourrait penser que des nuages décollent de la berge. 

Après une petite heure de navigation, la pirogue s’échoue devant un hameau de quelques maisons multicolores. La déception est grande car l’endroit paraît touristique. Quelques buggys attendent près de la plage. La presqu’île est immense et il est impossible de gagner l’océan à pied. Pas de route. Un chemin à peine carrossable monte à l’assaut des dunes d’une blancheur immaculée. Au sommet de l’une d’elle, notre chauffeur s’arrête. Le paysage est à couper le souffle. Comme une chaîne de montagnes, les dunes immenses se succèdent jusqu’à l’océan, loin derrière quelques bosquets de cocotiers. Le bleu du ciel se dispute l’horizon avec le vert de l’océan. Le blanc du sable recule au rythme du blanc de l’écume qui se précipite sur la plage. 

L’endroit est paradisiaque. Un petit restaurant a installé ses tables au bord de l’eau et la surprise est totale car très peu de visiteurs sont installés là, dans des hamacs qui attendent l’heure de la sieste. 
La pirogue nous ramène chez Lulu sous un soleil rasant qui reflète ses couleurs de couchant et transforme le fleuve en coulée de lave.  

Mangue Seco est au bout du monde, au bout de nulle part. Dans un endroit hors du temps. Les voitures des habitants sont garées le long du fleuve. Les pirogues taillées dans des troncs d’arbre sont échouées tout près. La confrontation de deux époques est là, encore présente. Mais jusqu’à quand cet endroit magique restera-t-il confidentiel, à l’abri du déferlement touristique? 

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